Cyberœuvre & musée

Introduction

Mise en contexte

Le World Wide Web (WWW), développé par Tim Berners-Lee en 1990, est à l’origine de ce que l’on appelle l’« Réseau informatique mondial constitué de sous réseaux utilisant le même protocole de communication TCP/IP et auquel des millions d’utilisateurs peuvent se connecter » (Rey & Morvan, 2005, p.2070) public. Inventé afin de rendre plus simple le partage de connaissances à l’échelle planétaire (W3C), cette innovation technologique vient bouleverser le fonctionnement de notre société, s’immisçant au cœur de nos activités humaines, de nos débats politiques, de nos valeurs culturelles.

Le WWW, ou simplement le Provient du mot anglais désignant une toile, comme une toile d’araignée. Dans le domaine de l’informatique, le Web représente une partie d’Internet regroupant tous les sites du réseau mondial et reposant sur le principe des liens hypertextes (Rey & Morvan, 2005, p.2036)., est une application d’Internet qui rend possible la création, la publication et l’exploration de divers types de documents. L’Internet est manipulé et formé par la main de l’utilisateur. Les activités de création font évoluer l’étendue, la forme et le contenu du Web. L’évolution d’Internet, loin d’être constante, est toujours imprévisible et, par conséquent met en danger le geste humain dans cette deuxième dimension L’activité humaine peut se produire dans l’espace physique et dans le cyberespace. Ces deux « lieux », à l’origine bien distincts, parviennent aujourd’hui à se rapprocher de la réalité physique, la première dimension, faisant ainsi du cyberespace une deuxième dimension où l’activité humaine, le geste ou la pratique peuvent y évoluer en parallèle, indépendamment. C’est ainsi que se résume le constat d’Hito Steyerl dans son texte Too Much World, Is the Internet Dead? L’auteure remarque qu’Internet est ancré si profondément dans la vie quotidienne qu’il est presque impossible de la distinguer de la vraie vie (Steyerl, 2015, p. 12). . Celle-ci, communément appelée le cyberespace, regroupe toutes sortes de cyberobjets, de cyberartefacts, de cyberœuvres d’art... Le préfixe « Préfixe. Sert à produire des mots composés concernant le multimédia, et notamment le réseau Internet et le Web (Rey & Morvan, 2005, p.2065) » sert à identifier les activités « [...] spécialisées dans le domaine des télécommunications et des multimédias » (Rey & Morvan, 2005, p. 2065). En 1984, l’auteur de science-fiction William Gibson imaginait le mot cyberespace. Ce mot, composition du préfixe « cyber » et du mot « espace » fait référence à « [...] l’hallucination consensuelle quotidiennement expérimentée par des milliards d’opérateurs. » (Poissant, 1997, p. 82)Cette phrase est tirée de l’ouvrage de science-fiction de l’auteur William Gibson intitulé Neuromancien. Poissant l’utilise dans son dictionnaire afin de retracer les origines de cette expression.. Ainsi qualifié de non-lieu, le cyberespace crée cependant l’effet d’un lieu dans l’organisation mentale de l’espace ; à la fois un lieu et un non-lieu, selon l’efficacité de l’effet hallucinatoire. Le cyberespace est en quelque sorte une abstraction de la dimension physique de ce monde. L’Internet et le Web, quant à eux, sont les outils, les extensions de l’humain, servant à former et à manipuler cette deuxième dimension. L’emploi du terme « réseau » pour définir l’agencement géométrique dans l’espace fait référence à sa construction architecturale (Gusdorf & Lassure, 2008, p. 297). Les différentes topologies -- en bus, en étoile, en anneau, etc. -- du réseau informatique forment donc cette organisation, cette architecture spatiale qui définit le lieu dans le cyberespace. Les termes réseau, Web, cyberespace, entre autres, sont dans notre cas des synonymes faisant référence à cette idée du lieu et de l’outil porté par Internet. Les utilisateurs du cyberespace sont les internautes. Il s’agit d’un « acronyme des termes internet et astronaute. » (Poissant, 1997, p. 181). Ceux-ci forment un groupe de nœuds connectés dans ce qu’on appelle le cyberespace.

Dans le cyberespace, on trouve donc des cyberartefacts, des vraies chosesIl s’agit ici d’un rappel aux « vraies choses » de Duncan Cameron (Cameron, 1992), dans son ouvrage sur l’exposition comme système de communication. Dans le système de communication de Cameron, les vraies-choses se distinguent des modèles ou des simulations. Les vraies choses se présentent d’elles-mêmes, telles-quelles. dites nées numériques L’expression « née numérique » détermine une chose qui a été créée par un outil numérique. Par exemple, un ordinateur, une caméra numérique, un site web, une capture d’écran, etc. pour la plupart, qui entrent directement en conflit avec le concept même du musée. Tel qu’observé par Ross Parry, le musée a, pendant des siècles, privilégié l’objet matériel alors que l’objet numérique s’oppose à cette construction matérielle (Parry, 2007, p. 58). Dans le cadre de ce travail de recherche, il est question du cyberart dans le contexte de la cybermuséologie. Steve Dietz, dans une publication web datant de 1999, fait la proposition suivante :

If instead of mapping traditional museum functions into cyberspace, what would happen if we applied the distinctive characteristics of digital media to the idea of the museum? What would it mean to: collect digital objects; archive new media; share research; allow for multivocal, hyperlinear [and] conversational interpretation strategies; create online exhibitions [?]

(Dietz, 1999)

Cette proposition s’aligne sur celle du projet de recherche qui a mené à cet essai dans le sens où l’objet, la cyberœuvre, est Préfixe. Sert à produire des mots composés concernant le multimédia, et notamment le réseau Internet et le Web (Rey & Morvan, 2005, p.2065). Celle-ci est donc une œuvre, premièrement définie comme tel : « [...] le résultat sensible d’une action ou d’une série d’actions orientés vers une fin. » et également déterminée comme œuvre d’art : « [...] œuvre qui manifeste la volonté esthétique d’un artiste, qui donne le sentiment de la valeur artistique. » (Robert, Rey, & Rey-Debove, 1983, p. 1302). D’autre part, le préfixe « cyber » définit l’objet en identifiant son support, car « [...] depuis le développement de ce que l’on appelait jadis « la Toile » et de son utilisation publique, le préfixe « cyber » s’applique à ce qui est porté par l’Internet » (Langlois, 2015). Dans le contexte de cet essai, notre objet d’étude est la cyberœuvre, qui est donc une œuvre d’art portée par Internet.

Dans le cadre du projet de recherche, ce type d’œuvre artistique est étudié en fonction du processus qu’est la muséalisation. La cyberœuvre est ici mise à l’épreuve par la muséalisation, que l’on peut, pour le moment, sommairement définir comme l’opération par laquelle un objet culturel, ancien, voire usuel, devient objet de musées (Julien & Rosselin, 2005; Mairesse, 2011). Si dans les premières pages de cet essai on comprend un peu mieux les entendements culturel et social de la cyberœuvre, on est aussi en mesure de saisir comment elle a pu s’adapter au processus de muséalisation.

Authenticité

Les objets de musées se doivent d’être authentiques. Or, l’idéal théorique de l’authenticité se pose-t-il à l’encontre du cyberobjet? Les objets de la culture populaire, issus d’une industrie complètement mécanisée, voire de masse, menacent en quelque sorte la personnalité de l’individu (Balsom, 2017, p. 88). Cette question a été soulevée par Benjamin (Benjamin, 2014) quant à l’œuvre d’art et mobilisée par la suite dans de nombreux projets de recherche. Toutefois, ce n’est pas le caractère estimé comme plus ou moins authentique de la cyberœuvre qui est au cœur de la question de recherche de cet essai, mais bien sa relation avec le musée qui est réfléchie. Dans notre ère technologique, un effort plus soutenu pour la muséalisation de la cyberœuvre semble s’avérer essentiel à sa pérennité. La cyberœuvre est élaborée depuis la volonté esthétique de l’artiste qui a choisi l’Internet comme support et médium. Sans la muséalisation de la cyberœuvre, cette voix, cette réflexion sur notre culture, disparaît. Il s’agit ici d’objets produits à une époque de notre histoire et ayant une valeur de représentation quant au travail d’artistes ayant évolué sur le Web. Une trace d’un geste humain programmé -- dans le sens informatique du terme -- méritant d’être amené à un statut de patrimoine.

Technophobie

L’objectif est de faciliter la muséalisation de la cyberœuvre et de passer outre la barrière technologique qui l’en empêche. Edmond Couchot, dans un ouvrage publié en 2003, constate qu’un climat technophobe surplombe le monde de l’art numérique. C’est selon lui une résistance qui prend racine dans la société et qui est reflétée dans l’institution publique. Frédéric Clad, dans son mémoire sur le marché de l’« Forme d’art fondée sur l’usage des technologies numériques. L’art numérique peut revêtir différentes formes : musique numérique, sculpture numérique, images de synthèse 2D ou 3D, œuvres interactives en ligne, etc. » (Glossaurus DOCAM) en 2013, reprend ce passage et ajoute que les arts numériques se situent dans une zone indéterminée où les musées attendent de voir ce que les arts numériques deviendront avant de s’y intéresser

(Clad, 2013, p. 39; Couchot, 2003, p. 119)

Vers de nouveaux modèles

Dans le contexte du musée, la cyberœuvre existe sous deux formats. 1) Le lounge (Paul, 2004, p. 4) regroupe quelques ordinateurs dans une même pièce, pouvant être utilisés par les utilisateurs. Le lounge permet de garder l’équipement informatique dans un endroit restreint, à l’écart des expositions du musée ; 2) la cyberexposition permet de conserver le contexte initial de la cyberœuvre et ne nécessite aucune installation physique dans le musée (Paul, 2004). La cyberœuvre est donc initialement mise à l’écart des expositions et des collections du musée. Or, l’intégration de la cyberœuvre au musée fait l’objet de plusieurs réflexions, tant du point de vue de la relation entre l’artiste et le commissaire, des approches quant à la documentation de la cyberœuvre, que des notions d’authenticité et d’originalité. Ce sont des considérations qui sont étudiées dans cet essai, regroupées autant que possible dans les différentes étapes du processus de la muséalisation.

Problématique

Est-il possible d’appliquer le processus de muséalisation à une cyberœuvre? Les trois étapes successives de la muséalisation que sont la sélection, la recherche et la présentation peuvent nous en apprendre davantage sur la relation qui existe entre la cyberœuvre et le musée.

Plus largement, l’opération qu’est la muséalisation est implicite au champ disciplinaire qu’est la muséologie. Par l’étape qu’est la sélection, les champs disciplinaires de l’archéologie du numériqueProcessus de récupération de données numériques ayant été endommagées ou étant devenues inutilisables à cause de l’obsolescence technologique des formats et/ou des médias (DOCAM, n.d.). et de l’archivistique nous permettent de repérer et de découvrir les cyberœuvres. Par celle qu’est la recherche, les champs disciplinaires de l’art contemporain et plus spécifiquement de l’art éphémère permettent de documenter la cyberœuvre. L’étape de présentation est intrinsèque au champ disciplinaire qu’est l’ergonomie web, qui la rend possible aux fins d’exposition ou de diffusion de la cyberœuvre par le cyberdispositif.

  1. Introduction
  2. Méthodologie
  3. Cadre Théorique
  4. Harmonisation des processus de la muséalisation
  5. Études de cas
  6. Résultats de la recherche appliquée
  7. Conclusion