Cyberœuvre & musée

Harmonisation des processus de la muséalisation

Pour Mairesse, la muséalisation est l’opération qui tend à « extraire, physiquement et conceptuellement, une chose de son milieu naturel ou culturel d’origine et à lui donner un statut muséal, à la transformer en [...] objet de musée » (Mairesse, 2011, p. 334). L’objet de musée est prélevé de son contexte. Le contexte primaire, celui de la conception et de l’utilisation de l’objet, est défini par le cycle de vie utile de l’objet. Le contexte secondaire, celui de l’objet qui est déchet, appartient à l’éboueur puis aux archéologues. Le troisième contexte, celui de l’objet de musée, qui est initialement prélevé à partir d’un des deux premiers contextes, appartient au musée. À la suite de ce prélèvement, l’opération de la muséalisation s’effectue en trois phases, celle de la sélection, celle de la recherche (thésaurisationMairesse (2011, p. 334) reprend le modèle de muséalisation développé par Stránský (sélection, thésaurisation, présentation) qui nuance l’expression objet de musée et objet dans un musée. C’est justement par la muséalisation que l’objet de musée obtient plusieurs statuts. La thésaurisation est ici associée à la recherche, par laquelle les objets de collections sont notamment mis en relation par une opération de classification.) et celle de la présentation (Ibid.). Le processus de muséalisation se distingue, en termes de contexte, de la collection privée. Le musée se rattache au domaine scientifique et ses collections sont institutionnalisées. L’objet doit d’abord être choisi pour sa valeur de témoignage (témoignalité) et d’enseignement (documentalité) (Ibid.). Il est difficile de cerner l’objectivité de l’opération de la collection, puisque celle-ci « se fonde sur un réseau complexe de motivations, de pulsions et de désirs plus ou moins avouables » (Ibid., p. 344). Elle n’est ainsi jamais parfaitement objective (Ibid.). Le résultat de la muséalisation est celui de l’objet muséalisé, soit de l’objet documenté, portant une identité structurelle, fonctionnelle et contextuelle.

Pour Julien et Rosselin, la muséalisation permet trois statuts octroyés successivement à l’objet, qui devient ainsi muséal. Le premier statut, juridique, vient du fait que l’objet a été sélectionné en fonction de sa valeur patrimoniale, esthétique ou financière. Celui-ci provient du domaine de l’usuel, de l’ancien ou de l’humain. L’objet doit aussi être en adéquation avec la mission du musée qu’il intègre. Par son intégration au sein des collections d’un musée, l’objet est juridiquement protégé en vertu des politiques de collectionnement de l’institution. Le deuxième statut, scientifique, est induit par la classification de l’objet et par le travail de recherche qui est effectué à son sujet afin d’élaborer des savoirs. Une étape de restauration de l’objet peut aussi être considérée, tant pour sa préservation que pour son troisième statut en devenir, le statut social. Celui-ci est amené par la monstration publique de l’objet, voire par son exposition, et repose notamment sur des qualités esthétiques, qui s’ajoutent aux dimensions juridique et scientifique acquises par celui-ci« Ce qui détermine l’acquisition et le travail scientifique se trouve ainsi relégué au second plan, sinon gommé des considérations qui définissent l’objet montrable. » (Julien & Rosselin, 2005, p. 41). Il faut noter que les auteures s’intéressent aux musées d’ethnographie française et aux musées révolutionnaires, apparus après la révolution pour préserver le patrimoine français. Ce processus de muséalisation spécifique est spécifique à ce contexte..

Tableau : Tableau comparatif du processus de muséalisation selon Julien et Rosselin (2005) dans La culture matérielle et Mairesse (2011) dans Le dictionnaire encyclopédique de muséologie.

Processus de muséalisationJulien et Rosselin (2005)Mairesse (2011)
Contexte initial de l’objetUsuel, ancien, humainContexte primaire : la conception de l’objet Contexte secondaire : le déchet Contexte troisième : la préservation
Critères de sélectionObjet-témoin, doit être représentatifTémoignalité, documentalité
SélectionIsolation Obtention d’un statut juridiqueSélection, acquisition, gestion Identifier les porteurs potentiels de la muséalité
Recherche (Thésaurisation)Classification,restauration Obtention d’un statut scientifiquePréservation, conservation, catalogage Former le thésaurus de la collection et les conditions de préservation
PrésentationPrésentation Obtention d’un statut social et esthétiqueExposition, publication Rétroaction de la réalité muséalisée vers la conscience sociale
Information muséaliséeObjet inaliénableObjet documenté : identité structurelle, fonctionnelle ou contextuelle.

Sélection, recherche et présentation

Les différents processus de muséalisation revus dans ce rapport, notamment ceux de Mairesse (2011) et de Julien et Rosselin (2005) peuvent servir de guide pour l’étude d’un processus de muséalisation adapté à la cyberœuvre. Toutefois, en ce qui a trait à l’objectivité et à la subjectivité du processus de muséalisation du cyberart, ces deux textes sont moins utiles. Plus spécifiquement, il faut se référer au texte de Heather Slania (2013) qui explique comment une archive de cyberœuvre peut être créée et préservée. Encore, le texte de Rinehart (2002) à propos de l’Artbase du Organisme New-Yorkais ayant comme mission la préservation et la diffusion du cyberart. peut venir informer l’harmonisation des processus de la muséalisation pour ce qui relève des modèles de classification adaptés à la cyberœuvre.

Bien que traités indirectement par Rinehart (2002), Laforet (2004) et Slania (2013), les facteurs d’objectivité et de subjectivité dans le cadre de la sélection de cyberœuvres mériteraient d’être mieux définis. De façon générale, la sélection de la cyberœuvre se fait selon des principes établis de l’institution muséale qui opère celle-ci. Ainsi, le critère d’objectivité peut être variable selon les institutions. Selon Bergeron (2011), le processus de sélection s’opère en deux étapes, celle de la reconnaissance et celle de l’appropriation. La première, la reconnaissance, s’accorde parfaitement avec le passage au statut juridique de Julien et Rosselin (2005), en ce sens que l’on reconnait un nouveau statut à l’objet muséologique, plus spécifiquement à l’œuvre d’art, car celle-ci n’est pas initialement muséale. Elle le devient lorsqu’elle acquiert de la valeur par le système de reconnaissance que constituent les galeries, les critiques d’art et les collectionneurs (Desvallées, Mairesse, & Bergeron, 2011).

En ce qui a trait à la recherche, il est important d’identifier trois grandes catégories d’activités : la documentation et l’identification ; la recherche et le développement relatifs à la conservation et la préservation ; ainsi que la réflexion muséologique et la recherche scientifique à propos l’institution muséale comme objet d’étude. (Desvallées, Mairesse, & Bergeron, 2011, p. 530). Les deux premières sont directement en rapport avec les fonctions et les opérations muséales menant à la mise en valeur des collections. La troisième a pour but de mener une réflexion sur cesdites opérations. Elle est directement en lien avec une valorisation de l’objet que Pomian associe à la finalité et la raison d’être des collections, soit celle d’être exposées au regard (Pomian, 1987, p. 18). Comme nous l’avons indiqué plus haut, Mairesse (2011) s’inspire, entres autres, du processus de muséalisation de Stránský. Dans l’énoncé de ce projet de recherche, il est plutôt question de recherche et non de thésaurisation. Pour Mairesse, le terme thésaurisation renvoie au terme de recherche au sens de catalogage. Il faut aller emprunter la définition d’André Gob, dans Le jardin des Viard ou les valeurs de la muséalisation, pour saisir que la recherche renvoie aussi à tout ce qui a trait à la documentation et à l’incorporation des objets dans l’activité muséale (Gob, 2009, p. 8). La documentation sert ainsi à récolter les éléments de l’identité de l’objet de musée, en vue de sa mise en exposition, concept que Mairesse n’attribue pas tout à fait à l’étape de thésaurisation, mais que Gob associe à l’opération de recherche. D’ailleurs, Julien et Rosselin (2005) utilisent quant à elles l’adjectif scientifique pour qualifier les opérations de restauration et de classification.

Finalement, en ce qui a trait à la présentation, la cyberœuvre obtient un statut social et esthétique par son exposition ou sa publication. Les différentes stratégies d’exposition, telles qu’abordées dans les différents modèles de muséalisation ainsi que dans la littérature, ne permettent pas d’identifier des points de friction avec le processus de la muséalisation. Il se trouve que la cyberœuvre peut se présenter adéquatement, autant dans l’exposition physique que par la cyberexposition. Les deux approches ont certainement chacune leurs avantages et inconvénients, notamment en ce qui a trait à l’expérience de l’interface de la cyberœuvre. Elle est autant une expérience individuelle (Lonergan, 2015) que collective (Keene, 2001). Cette expérience est tributaire tant de l’organisation de l’interface (Lemke, 2002), que de la structure en arabesque (Fischer, 2004) et que de la perception phénoménologique de l’écran (Vial, 2013). La suite de ce projet de recherche, notamment par les entretiens, permet d’établir quelles sont les modalités mises en place par les commissaires lors de la présentation de la cyberœuvre.

Problématiques et pistes de solutions soulevées par les processus de muséalisation en lien avec la cyberœuvre

L’ArtbaseL’Artbase de Rhizome est le catalogue en ligne des collections de l’organisme. du Rhizome est un répertoire où des cyberœuvres sont conservées. Au début de son existence, le processus de sélection était absent et toute cyberœuvre soumise était collectionnée. Depuis environ 2005, un comité évalue la qualité des soumissions. Pour procéder à une sélection appropriée, le comité doit être constitué d’experts en matière de cyberart (Graham & Corcoran, 2014). En mettant l’emphase sur la cyberœuvre comme objet de sa collection, Rhizome procède à une opération de muséalisation. Sa collection est formée dans son intégralité d’un index de liens de cyberœuvres et d’une portion de celles-ci archivées et stockées par l’institution. Cette archive nécessite, entre autres, des activités de conservation et de préservation des cyberœuvres. De plus cette collection a souvent servi à la conception d’expositions produites par le même organisme. Par exemple, le Net Art Anthology de Organisme New-Yorkais ayant comme mission la préservation et la diffusion du cyberart. met en cyberexposition une sélection majeure de cyberœuvres. Celles-ci sont présentées, tant de manière documentaire ou fonctionnelle, à la suite d’un travail de documentation, de restauration ou de conservation. C’est donc un exemple de muséalisation qui vient répondre à l’énoncé de cet essai par la sélection, la recherche et la présentation.

Ce qui semble être décisif pour faire valoir l’importance d’une cyberœuvre à l’étape de la sélection, c’est son niveau de reproductibilité. Il y a d’abord la reproductibilité technique, comme l’entendait Benjamin, par la création de copies pour la distribution de masseBenjamin parlait de reproductibilité mécanique. Dans le cas de la cyberœuvre, la reproductibilité numérique est inhérente au médium.. Mais la cyberœuvre doit aussi posséder une qualité de reproductibilité sociale, telle qu’expliquée dans Net Aesthetics 2.0 (2015). Elle doit pouvoir être évaluée positivement quant à sa résonnance sociale — c’est-à-dire à sa capacité à être visitée, partagée, reprise : il s’agit du niveau de conversation qu’elle génère dans le cyberespace et dans l’espace physique (Cornell & Halter, 2015, p. 285).

Cette reproductibilité ainsi entendue est liée aux notions de multiplicité et de variation d’une cyberœuvre. Ces notions, voire ces qualités, sont problématiques dans un contexte muséal. L’objet de musée possède un statut juridique (Julien & Rosselin, 2005) qui s’applique aisément à l’objet unique, mais de manière moins évidente à l’objet numériquement reproductible. Par ailleurs, L’approche des nouveaux médias propose de faire une distinction entre l’œuvre reproduite et l’œuvre dupliquée (Depocas, Ippolito, & Jones, 2003). Cette distinction permet faire la différence entre une cyberœuvre qui se présente à l’écran qui a une reproductibilité numérique et qui permet une expérience du regardeur, et une cyberœuvre qui est altérée par une opération de duplication. La cyberœuvre serait alors techniquement mise à jour ou reconstruite pour des fins de conservation et d’exposition. On peut s’interroger si, pour l’intégrité de l’œuvre dans un contexte de muséalisation, la duplication est plus préjudiciable que la reproductibilité.

L’accès numérique aux collections du musée permet un degré de liberté appréciable par les publics du musée. Comme le dit Keene, les interactions possibles et générées par la nature numérique des collections permettraient un niveau de relation différent entre le musée, ses collections et le public (2001, p. 86). Dans le contexte d’un cybermusée, on est en mesure de permettre au visiteur d’accéder pratiquement sans restriction à l’objet numérique — dans ce cas-ci la cyberœuvre — de techniquement lui permettre de la manipuler, et ce, sans risque de détérioration. Par ce contexte de reproductibilité hypermédiatique, le public peut « toucher » un objet de musée sans l’altérer, en se l’appropriant véritablement.

Cerner les limites de la cyberœuvre

La nature technologique et numérique de la cyberœuvre est importante à considérer. « La plupart des projets artistiques qui sont aujourd’hui faits pour le Web ne sont pas uniquement basés sur une collection spécifique d’informations verbales ou quantitatives, mais sur un design visuel soigneusement contrôlé ou sur un jeu autour du médium qui les encadre. » (Laforet, 2004, p. 15). Le cyberartiste, lors de la création, crée à partir d’un environnement technologique éphémère. Si cet environnement devient obsolète, l’apparence de la cyberœuvre s’en trouve modifiée. De plus, la délimitation contexte de diffusion d’une cyberœuvre est aussi problématique puisque son cadre peut s’étendre, via l’hyperlien, à l’extérieur de ses limites. De plus, une cyberœuvre, qui dépend d’un contexte externe ou qui est parasitaire, n’est pas autonome.

Cela place, encore une fois, la cyberœuvre en contradiction avec les préceptes de la muséalisation. Elle pose problème quant au principe de conservation.

Pour certains conservateurs et commissaires d’exposition, acquérir et conserver des œuvres dont la matérialité n’est pas stable ne devrait pas être l’objet du musée. [...] les conservateurs ne devraient pas être confrontés à une tâche qu’ils ne peuvent pas raisonnablement réaliser. (Laforet, 2004, p. 23)

Laforet propose trois modèles pour la conservation du cyberart. La première est la conservation d’un objet uniqueL’objet unique, dans le cas de la cyberœuvre, est constitué de celle-ci, mais aussi d’un support informatique matériel. Comme objet unique, ces deux choses sont inséparables., qui sert à mettre l’emphase sur le caractère également unique de la cyberœuvre, et qui nécessite une analyse rigoureuse de celle-ci. Les résultats de cette analyse rigoureuse permettraient de recréer la cyberœuvre si le besoin se présente. La deuxième approche est celle de la conservation quantitative. Celle-ci encourage l’accumulation et la mise en relation de plusieurs documents récoltés à partir de la cyberœuvreLaforet (2004, p. 15) fait allusion ici à des documents d’archives, donc des archives web. Ce type de documents est à différencier avec la capture d’écran photographique ou vidéo.. C’est notamment un procédé qui s’apparente à l’archive, par l’usage de robots collecteurs ou par la collecte de documents accompagnés de métadonnées (Laforet, 2004, p. 37). La troisième approche est un hybride des deux premières. Elle permet à l’institution de présenter la nature et le contexte d’origine d’une cyberœuvre, devenue technologiquement dysfonctionnelle, par la présentation et la mise en contexte de fragments, voire de « morceaux brisés » de celle-ci. Il s’agit de les « faire parler ».

Le musée archéologique, en revanche, apparaît comme un modèle plus pertinent : il mêle culture savante et objets du quotidien ; il conserve des « morceaux brisés » (équivalent d’œuvres qui ne « fonctionnent » plus comme elles le devraient) qu’il sait « faire parler » ; il travaille sur la répétition et l’accumulation d’objets identiques dans divers états qui permettent une reconstitution mentale de l’état ou des états originels. (Laforet, 2004, p. 40)

Archéologie du numérique

L’archéologie du numérique peut fournir des pistes de réflexion méthodologiques quant à la muséalisation de la cyberœuvre. Parikka nous révèle comment la pratique de l’archéologie des médias peut se traduire en un processus créatif. En effet, son discours s’appuie sur la répétition et le recyclage du passé médiatique comme méthode archéologique. Une telle pratique ne peut pas être clairement définie, il s’agit plutôt d’un processus d’itération ou de remue-méninge (Parikka, 2012, p. 138). Or, cette analyse archéologique se rapproche tangiblement de celle des médias variables (approche des médias variables - AMV) mise sur pied par la fondation Solomon R. Guggenheim (Depocas, Ippolito, & Jones, 2003). Dans cette approche, une très grande liberté est autorisée quant à la permanence de l’œuvre, notamment dans le cadre de sa conservation et de sa préservation. Cela permet de mettre en perspective la problématique relative à muséalisation de la cyberœuvre.

D’autre part, Antoinette Dekker (2014), dans le cadre d’une dissertation sur la conservation de la cyberœuvre, compare plusieurs méthodesLes quatre modèles analysés dans la dissertation de Dekker sont les suivants : L’approche des médias variables (2003); Capturing Unstable Media Conceptual Model (2003); Matters in Media Art (2004); et le Media Art Notation System (2005)., dont l’approche AMV et l’approche Matters in Media Art (MMA). L’approche méthodologique MMA, développée par le Museum of Modern Art de New York (MOMA), le New Art Trust, le San Francisco Museum of Modern Art (SFMOMA) et la Tate du Royaume-Uni, permet de faciliter l’acquisition, la conservation et la présentation d’une œuvre médiatique. Elle se divise en trois étapes : la pré-acquisition (sélection), l’acquisition et la post-acquisition (recherche et présentation) (Dekker, 2014, p. 107). L’aspect le plus pertinent, relativement à notre objet d’étude, est que cette méthodologie peut s’appliquer quasi systématiquement aux étapes des modèles de muséalisation de Julien et Rosselin (2005) et de Mairesse (2011).

Tableau : Tableau mettant en concordance les processus de muséalisation de Julien et Rosselin (2005) et de Mairesse (2011) avec l’approche MMA (2014).

Processus de muséalisationJulien et Rosselin (2005)Mairesse (2011)MMA (2004)AMV (2003)
Contexte initial de l’objetUsuel, ancien, humainContexte primaire, secondaire et troisième

Les cases vides symbolisent les étapes qui ne sont pas prises en considération dans le modèle MMA.

Les cases vides symbolisent les étapes qui ne sont pas prises en considération dans le modèle AMV.

Critères de sélectionObjet-témoin, doit être représentatifTémoignalité, documentalitéPré-acquisition Rassembler les informations nécessaires. Estimer les besoins financiers et matérielsQuestionnaire des médias variables : Estimer les besoins financiers et matériels, préparation à la conservation et à la présentation
SélectionStatut juridiqueSélection, acquisition, gestionAcquisition Obtention d’un statut juridique
Recherche (Thésaurisation)Statut scientifiquePréservation, conservation, catalogagePost-acquisition Catalogage, préparation à la conservation et à la présentation de l’œuvre
PrésentationStatut social et esthétiqueExposition, publication

L’approche MMA se distingue de l’AMV par le fait qu’elle concorde plus harmonieusement avec le processus de muséalisation tel qu’envisagé par Julien et Rosselin (2005) et Mairesse (2011). L’AMV est davantage une méthodologie qui facilite la prise de décision et l’évaluation d’une cyberœuvre avant son acquisition. Par exemple, le questionnaire pour les médias variablesLe questionnaire pour les médias variables est celui de la méthode AMV. Le questionnaire est disponible au http://variablemediaquestionnaire.net (Consulté le 7 mars 2018) peut servir à estimer les besoins financiers et matériels d’une cyberœuvre, mais aussi à préparer celle-ci à sa conservation et sa présentation dans l’éventualité où elle ne fonctionnera plus (Depocas, Ippolito, & Jones, 2003).

Archivage

L’archivage de la cyberœuvre est un processus complexe. Selon, Peter Lyman (2002, p. 3), l’archivage fait face à quatre défis; le problème culturel, le problème technique, le problème économique et le problème légal. Le problème culturel tient de l’imprévisible. Comme tout objet, le document numérique possède une vie utile et une fin de vie. À ce stade, rien n’indique qu’un document numérique puisse un jour posséder une importance historique ou un statut patrimonial. Le problème technique est causé par la nature du document numérique, hautement éphémère et dépendant d’un environnement informatique tout autant éphémère. Ce problème est donc lié à l’obsolescence technologique. Le problème économique est lié aux ressources nécessaires à l’archive numérique. Le rendement d’un tel investissement est très lent. Le problème légal, quant à lui, tient du fait que le contenu sur le Web n’est pas toujours libre de droits. Ainsi, les archivistes ne possèdent pas les droits nécessaires pour faire une « copie » du Web Lyman ne fait pas la différence entre le contenu libre de droits et le contenu protégé par droits d’auteur. Il faut simplement retenir que le Web ne contient pas entièrement du contenu libre de droit et que les archivistes doivent respecter les différentes licences et droits d’auteur présents sur le Web. .

Selon Heather Slania, procéder à une mise en archive permettrait de répondre de façon provisoire aux problèmes soulevés par LymanLes changements technologiques rendent les techniques d’archive provisoires, car elles ne peuvent prévoir les technologies qui seront employés par les artistes.. Selon elle, les problèmes techniques et légaux sont facilement surmontables, car le processus d’archive est considéré comme transformatif. Cela permet d’utiliser le principe d’usage loyal (fair use). Elle voit plutôt des difficultés dans la sélection de l’objet à archiver (Slania, 2013, p. 118). Par exemple, la fréquence d’archivage d’une cyberœuvre dépend de la fréquence à laquelle elle change.

Un autre problème lors de l’archivage est le dynamisme variableLe dynamisme variable est en relation directe avec la provenance du contenu de la cyberœuvre. Le contenu peut provenir de sources dynamiques ou de source statiques. de certaines cyberœuvres. Celles-ci requièrent parfois, en temps réel, des référentiels de données du cyberespace. Elles nécessitent l’appel de données externes à leur site web et cela est difficile, voire impossible, à émuler dans un contexte d’archivage. Une solution serait de créer une capture des ressources web externes nécessaires au fonctionnement de la cyberœuvre (Rinehart, 2002).

En somme, plusieurs auteurs s’intéressent aux pratiques d’archivages du Web et cela permet d’entrevoir des solutions. Les approches de Rinehart (2002) et de Slania (2013) impliquent la conservation du contexte de la cyberœuvre, que ce soit par la consignation d’informations techniques, par une capture dotée d’un « time stamp »Une métadonnée contenant une date et une heure précise, par un collectionnement de la documentation éphémère, etc. On ne peut conserver uniquement le code source du langage de programmation d’une cyberœuvre, car celui-ci s’est montré inapte, par sa nature évolutive, à être permanent et résistant. Cela n’est pas suffisant sur le plan de la conservation. Dans certains cas, comme le note Sean Cubitt (2009), une approche documentaire ou littéraire est préférable.

Cybervisiteur

Le cyberespace est un média qui est investi par les musées. L’internaute solitaire peut naviguer, voire « déambuler » dans le site web d’un musée. Cette métaphore opérationnelle de l’internaute flâneur permet d’illustrer la quête de découvertes par la navigation, où il explore le cyberespace sans trop savoir ce qu’il y cherche (Léonard Brouillet, 2012). Ceci se rapproche d’un type de visite au musée, où le visiteur se laisse porter par le parcours proposé par l’exposition. Malgré l’aspect social du musée, le flâneur serait tout de même solitaire, « il est dans la foule, mais n’en fait pas partie : il est solitaire dans la multitude » (Léonard Brouillet, 2012, p. 28). Fischer (2004), quant à lui, aborde l’idée d’un itinéraire, d’un chemin suivi par le visiteur. Il s’agirait d’une expérience qui est implicitement unique. Personne n’aura la même expérience unique — il y a toujours des variables temporelles, géographiques, matérielles (hardware) et logicielles qui diffèrent et qui teintent cette expérience. En ce sens, Wolfgang Ernst percevait l’archéologie du numérique du même œil, avec une importance portée sur la conservation du matériel informatiqueLe matériel informatique original permet de préserver l’effet original de l’expérience de la cyberœuvre. (Ernst, 2011, p. 252). En somme, internautes et visiteurs font tous deux, dans une certaine mesure, une expérience individuelle de leur visite.

Interface de la cyberœuvre

L’organisation de l’interface orchestre et dirige la lecture de l’information qui s’y trouve. L’interface est un champ pictural à composer, où la condition matérielle tend à s’effacer pour laisser place à une médiation entre le visible et l’invisibleLanglois (2013), à ce sujet, traite du concept de sémiophore, tel que proposé par Pomian (1987). (Langlois, 2013). La cyberœuvre est une interface en soi et sa mise en espace doit passer par l’élaboration d’une interface particulière, celle de la cyberexposition. La cyberexposition ne se limite pas à la mise en espace de cyberœuvres.

Dans l’organisation multimodaleL’adjectif est emprunté de Lemke (2002), qui l’utilise pour qualifier les différents modes d’organisation de l’interface. des médias, la fonction de présentation permet d’identifier et de nommer. La fonction d’orientation induit une prise de position du participant (internaute) par rapport au contenu présenté. La fonction organisationnelle, quant à elle, permet de complexifier et de préciser les deux premières fonctions. La perception et l’identification juste de ces fonctions déterminent leur utilité. Si les niveaux de présentation, d’orientation ou d’organisation sont trop vagues ou ambigus, ils risquent de n’apporter aucun sens à la proposition médiatique. L’élaboration de ces niveaux de fonction se fait souvent de façon itérative et expérientielle (Lemke, 2002).

Comme nous l’avons vu, l’écran permet une expérience individuelle. Elle permettrait aussi l’expérience sociale. Il est possible de partager un écran, de se regrouper autour de celui-ci pour en faire une expérience commune. L’installation d’écrans dans l’exposition au musée est évidemment envisageable dans ce contexte (Keene, 2001). Il est aujourd’hui possible de dépasser l’enceinte du musée lorsqu’il est question de présenter des expériences numériques. C’est surtout le dispositif numérique, par son accessibilité et sa mobilité toujours croissante, qui facilite l’usage de l’écran en fonction d’un parcours étendu.

Si Keene (2001) traite de l’écran comme d’un élément rassembleur dans l’espace d’une exposition physique, Lonergan (2015), quant à elle, met l’emphase sur la solitude nécessaire à l’activité de navigation. L’écran et l’« Réseau informatique mondial constitué de sous réseaux utilisant le même protocole de communication TCP/IP et auquel des millions d’utilisateurs peuvent se connecter » (Rey & Morvan, 2005, p.2070) possèderaient donc des caractéristiques qui permettent leur consultation tant en mode social qu’en mode solitaire — en contexte d’exposition au musée ou dans le cadre d’une cyberexposition. Cela réfère aussi à Lemke (2002), qui note la multimodalité de l’interface, dont l’organisation et la présentation de l’information demandent à chaque utilisateur de se positionner par rapport celle-ci. Le phénomène de perception de l’écran peut être aussi informé par les propos de Vial (2015). La cyberœuvre, comprise comme un phénomène numérique vécu, possède une ontophanieLe concept général d’ontophanie est introduit par Vial tente de décrire la perception des objets à l’ère numérique. « Ce dernier, dont l’étymologie convoque la dimension de l’être (ontos) et de l’apparaître (phaïnô), témoigne de notre démarche fondamentalement phénoménologique » (Vial, 2016, p. 22) particulière qui produit plusieurs effets particuliers en fonction du regardeur.

Enfin, pour ce qui est de l’interface et de l’espace d’exposition, les textes de Lemke (2002) et de Langlois (2015) permettent d’envisager l’un pour l’autre : c’est-à-dire que l’interface peut servir comme espace d’exposition. C’est le cas notamment des contextes médiatiques de la cyberexposition (Langlois, 2015) et du catalogue en ligne (Slania, 2013) .

Vers l’analyse de la muséalisation de la cyberœuvre

Cette étude des processus de muséalisation, vis-à-vis des approches telles que celle du MMA, vient fournir des éléments partiels de réponse à l’énoncé de recherche. Nous pouvons constater que les processus de muséalisation, qu’ils soient développés comme modèle en muséologie ou comme guide de conservation de l’œuvre médiatique, s’alignent en grandes parties selon les trois étapes que sont la sélection, la recherche et la présentation. Ceci vient renseigner l’hypothèse initiale de recherche et permet, à cette étape, l’identification d’une série d’interrogations. L’objectif est de produire, à terme, une grille d’analyse plus globale du processus qu’est la muséalisation. Il est à noter que cette étape a également permis de nourrir qualitativement les thématiques abordées lors des entretiens menés dans le cadre de ce projet.

Tableau : Interrogations découlant de l’étude de la cyberœuvre, en vue de sa muséalisation

Phase de la muséalisationInterrogations
SélectionQuelle(s) licence(s) est/sont appropriée(s) à la cyberœuvre?
Est-ce au musée ou à l’artiste de déterminer la licence de distribution de la cyberœuvre?
Qui sont les artistes et les collaborateurs ayant contribué à la réalisation de la cyberœuvre?
Lors de la sélection d’une cyberœuvre, faut-il considérer l’environnement matériel et logiciel?
Quels sont les besoins financiers et matériels reliés à l’acquisition de la cyberœuvre?
RechercheLa cyberœuvre dépend-elle de flux de données?
La cyberœuvre est-elle en évolution constante?
Est-elle vivante?
Quelle est l’interface de la cyberœuvre?
Comment la documenter?
Quels sont les parcours et les itinéraires possibles dans l’interface de la cyberœuvre?
Quelles données peuvent être recueillies à propos de la cyberœuvre et de son environnement en vue de sa préservation?
Comment est-ce que la cyberœuvre fonctionne?
Quelles sont ses fonctions principales (Les fonctions et le fonctionnement ici sont directement en lien avec l’exécution du code source.)?
Quels sont les besoins financiers et matériels reliés aux activités de recherches?
PrésentationQuel environnement matériel et logiciel est nécessaire au fonctionnement de la cyberœuvre?
La cyberœuvre est-elle participative, interactive?
Comment la cyberœuvre peut-elle coexister avec les autres œuvres du musée dans l’espace d’exposition?
Quels sont les besoins financiers et matériels reliés à la présentation de la cyberœuvre?
  1. Introduction
  2. Méthodologie
  3. Cadre Théorique
  4. Harmonisation des processus de la muséalisation
  5. Études de cas
  6. Résultats de la recherche appliquée
  7. Conclusion